
« Serenade of peaceful joy », la série qui célèbre l’art de vivre de la Chine antique
Adaptée d’un roman de l’auteure chinoise Milan Lady, la dernière série historique Serenade of peaceful joy (en chinois 清平乐 ou Held in the Lonely Castle), adulée pour sa virtuosité visuelle et sa fidélité à l’histoire de la dynastie Song (960-1279), fait le buzz en Chine. Diffusée depuis le 7 avril sur la chaîne HunanTV et le site vidéo de Tencent, la série, produite par l’emblématique studio Daylight Entertainment, enregistre en moyenne 110 millions de vues chaque jour. Selon les données publiées le 25 avril par la plateforme spécialisée Maoyan, la série, toujours en diffusion, devient la plus regardée en Chine en ce début d’année.
Nouvelle ère des séries historiques chinoises ?
Si la sophistication des costumes, du décor et du maquillage fait partie de sa marque de fabrique, la série met surtout en scène l’art de vivre de la Chine antique, mais divise les téléspectateurs par son rythme modéré, jugé trop lent par certains. Soixante neuf épisodes rien que pour croquer le portrait de l'empereur Renzong, à travers le rapport de forces avec ses proches et ses ministres. Un projet ambitieux, qui signerait peut-être une nouvelle ère des séries historiques chinoises, souvent critiquées pour son manque de respect et de connaissance de la réalité historique.
Mais malgré le succès, son score sur le site de divertissement Douban, basé sur les avis de 80 000 internautes, est passé de 8,2/10 à 7,3/10 entre les premiers jours de diffusion et quinze jours plus tard, révélant une déception chez les spectateurs. Mais l’une des clés du succès de la série est indéniablement le choix du comédien principal, Wang Kai, qui a « réussi à interpréter parfaitement un empereur qui se distingue des autres avec un jeu palpitant et surprenant », commente un spectateur qui a donné une note de 5/5 sur Douban. Mais si la prestation magistrale de l’acteur Wang Kai, qui incarne l’empereur, fait consensus chez les téléspectateurs, le scénario, lui, suscite des débats.
Entre le devoir et le désir, un monarque à la chinoise
L'empereur Renzong, né Zhao Zhen, fut le quatrième empereur de la dynastie Song. De 1022 à 1063, soit deux siècles avant le début de la Renaissance en Europe, il domina la scène politique chinoise pendant plus de quarante ans, à savoir, le règne le plus long dans l’histoire de cette dynastie. Lui, jugé plutôt médiocre par ses contemporains, resta avant tout un empereur effacé dans l’histoire chinoise.
Wang Kai dans le rôle de l’empereur Renzong © Compte officiel Weibo
Fils, père et mari, il est avant tout le chef d’État. Ses différents rôles se confrontent et les tensions éclatent. « Entre le désir personnel et le devoir envers son peuple, il choisit toujours le dernier en renonçant à ses préférences personnelles », remarque Wu Gou, historien et spécialiste de la dynastie Song. La preuve, pour le bien du pays, il accepte, contre son gré, d’épouser une femme choisie par ses ministres. L’impuissance d’un « homme fort » ne s’arrête pas là, et constitue le fil rouge de la série.
Dynastie Song, ou la dolce vita dans la Chine antique
Si la série est consacrée à l'empereur Renzong, bon confucéen connu pour son ouverture d’esprit ainsi que sa bienveillance, elle met également en lumière les nombreux ministres célèbres que son règne a vu émerger, des poètes ou philosophes talentueux de l'époque, qui ont influencé des générations de Chinois jusqu’à aujourd’hui. Parmi eux : Fan Zhongyan, Ouyang Xiu ou Yan Shu… Beaucoup de leurs poèmes et essais ont été inscrits dans le programme scolaire en Chine.
Le grand historien français de la Chine Jacques Gernet admirait beaucoup cette dynastie. Pour lui, au tournant du XIe siècle, « un monde nouveau est né, dont les caractéristiques fondamentales sont déjà celles de la Chine des temps modernes ». Éléments que la série réussit à dépeindre dans une présentation panoramique de la vie royale et citadine propre à la dynastie Song : la Chine antique, sobre et élégante, défile sous nos yeux à travers l’art du thé, la calligraphie, la gastronomie, la musique, la littérature, la vie nocturne, et déclenche déjà une nouvelle vague des passions pour cette époque.
© Compte officiel Weibo
La Chine moderne à la recherche de l’art de vivre traditionnel
À quelle époque auriez-vous aimé vivre ? Dans une Chine moderne qui s’éprend de plus en plus d’un art de vivre traditionnel, la culture de la dynastie Song revient souvent favorite. Militairement faible, elle marque pourtant une véritable révolution dans le domaine artistique. En 2017, la « fièvre de la dynastie Song » a déjà fait la couverture du magazine Sanlian Lifeweek. « Pourquoi on aime tant la dynastie Song ? », titrait alors l’hebdomadaire, pour qui le Song représente l’apogée de la culture classique et l’esthétique chinoise.
Alors qu’aujourd’hui le pays est obsédé par la vitesse, les Chinois sont de plus en plus nombreux à rechercher une vie plus spirituelle et riche intérieurement. Et la tradition pourrait être un refuge parfait. « Dans ce cas, pourquoi ne pas mener une vie aussi élégante que les gens de Song ? », se demandait Sanlian Lifeweek. Cette question, un brin idéaliste, provoque pourtant quelques remous. Plusieurs internautes, qui ont commenté la série sur le réseau social Douban, ne manquaient pas de lucidité sur cette période très patriarcale : « pour vivre en Chine ancienne, vaut mieux quand même être un homme qu'une femme ! »
Féministe ou sexiste ? La série en zone de turbulence
Jiang Shuying dans le rôle de l’impératrice Cao © Compte officiel Weibo
Comment représenter les femmes empêtrées dans un patriarcat décomplexé de la Chine antique ? Voilà le casse-tête moderne des séries historiques, qui cherchent à attirer des femmes, grandes consommatrices de ces programmes. Serenade of peaceful joy, habile, résout ce problème en célébrant une impératrice (interprétée par Jiang Shuying) cultivée, intelligente et stratège, qui ne dépend de personne et demeure l’égale de son mari. Sans surprise, dans les discussions sur internet, ce personnage suscite beaucoup de sympathie. Néanmoins, certains éléments de la série n’ont pas échappé aux débats liés à des questions de genre en Chine. L’attention publique portait sur une scène dans laquelle un ministre, à propos de la princesse Fukang, déclarait : « elle n’est qu’une princesse dont les enfants porteront sûrement le nom de la famille de son futur mari ». Accusé de sexisme, cette phrase fait surtout écho à un fait divers très médiatisé en ce début avril : une Chinoise s’est séparée de son mari parce qu’il avait refusé que leur enfant porte son nom. Si la remarque était légitime sous la dynastie Song, elle ne correspond plus aux valeurs de la société moderne chinoise. Et à travers la série, les spectateurs s’insurgent que certaines choses n’ont pas beaucoup évolué. Entre le féminisme et le sexisme, la réalité rattrape malgré elle la fiction.
Série disponible en sous-titré français sur Viki.
Découvrez le trailer (sous titré en anglais) :
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